L'enfant Lys, je le vois, par instants, se lasser des livres, se lasser d'écrire, se lasser de tout. Recouvrer par éclairs l'usage d'un instinct mille fois nié, mille fois enseveli. Partir, indéfiniment partir. S'enfonçant dans la forêt, le silence. Des pensées lui viennent, qu'il n'a pas cherchées. Elles arrivent avec la même soudaineté que ces branches qui obstruent le chemin, qu'il faut éloigner avec ses bras tendus et qui giflent le visage si on les relâche trop tôt. Ces pensées là, il ne peut les maintenir à distance: elles surgissent de cette région du dedans dont il ne sait rien, d’où il devine que proviennent la plupart de ses gestes, et déjà ce désir irrépressible d'une
promenade infinie. Ses pensées, ce sont des mots. Des mots peut-être un peu plus lents que les autres, qui s'attardent en lui et ne se décident pas à disparaître dans la formulation d'une idée ou dans le bruissement des lèvres. Des mots en vrac, sans lien raisonnable entre eux: Marbre, Dieu, Source, Encre, Aurore…
Et puis aussi un mot solitaire, qui erre, au-dessus des autres, ou en dessous, il ne sait pas: Mort. Mourir.
Quelque chose comme une extrême faiblesse.
Quelque chose d'indestructible.
Christian Bobin (Souveraineté du vide)